- Françoune a écrit:
- ça serait génial de voir comment tu élabores un texte de cette nature à partir d'une idée ou d'une émotion !
Sur la construction du texte lui même c'est trop tard, il aurait fallu que je conserve une trace des versions successives (écrit directement sous word, mais il m'arrive aussi de griffonner mes hiéroglyphes sur un carnet…)
Par contre je peux essayer d'expliquer la Genèse de l'idée et la démarche…
Tout est parti ici d'un texte en prose d'un poète contemporain que j'aime beaucoup, qui est Xavier Bordes (c'est lui qui m"a fait le grand honneur de préfacer mon premier recueil "Gaïa" : "Le poète, la violence, et l'humanité…" et plus précisément cet extrait
Ce passage m'a rappelé ce repas en terrasse d'un restaurant d'Avignon, durant le Festival durant lequel ce gars qui passait de restau en restau est venu réciter des poèmes de divers auteurs dans l'indifférence la plus générale. Parmi ces textes, un que j'apprécie particulièrement qui est le prologue des fleurs du mal : "Au lecteur"
La sottise, l'erreur, le péche, la lésine,
Occupent nos esprits et travaillent nos corps,
Et nous alimentons nos aimables remords,
Comme les mendiants nourrissent leur vermine.
Nos péchés sont têtus, nos repentirs sont lâches;
Nous nous faisons payer grassement nos aveux,
Et nous rentrons gaiement dans le chemin bourbeux,
Croyant par de vils pleurs laver toutes nos taches.
Sur l'oreiller du mal c'est Satan Trismégiste
Qui berce longuement notre esprit enchanté,
Et le riche métal de notre volonté
Est tout vaporisé par ce savant chimiste.
C'est le Diable qui tient les fils qui nous remuent.
Aux objets répugnants nous trouvons des appas;
Chaque jour vers l'Enfer nous descendons d'un pas,
Sans horreur, à travers des ténèbres qui puent.
Ainsi qu'un débauché pauvre qui baise et mange
Le sein martyrisé d'une antique catin,
Nous volons au passage un plaisir clandestin
Que nous pressons bien fort comme une vieille orange.
Serré, fourmillant comme un million d'helminthes,
Dans nos cerveaux ribote un peuple de démons,
Et quand nous respirons, la Mort dans nos poumons
Descend, fleuve invisible, avec de sourdes plaintes.
Si le viol, le poison, le poignard, l'incendie,
N'ont pas encore brodé de leurs plaisants dessins
Le canevas banal de nos piteux destins,
C'est que notre âme, hélas! n'est pas assez hardie.
Mais parmi les chacals, les panthères, les lices,
Les singes, les scorpions, les vautours, les serpents,
Les monstres glapissants, hurlants, grognants, rampants,
Dans la ménagerie infâme de nos vices,
Il en est un plus laid, plus méchant, plus immonde!
Quoiqu'il ne pousse ni grands gestes, ni grands cris,
Il ferait volontiers de la terre un débris
Et dans un bâillement avalerait le monde.
C'est l'Ennui!- L'oeil chargé d'un pleur involontaire,
Il rêve d'échafauds en fumant son houka.
Tu le connais, lecteur, ce monstre délicat,
Hypocrite lecteur, mon semblable, mon frère!
Charles Baudelaire
J'ai fait un parallèle entre les deux textes et j'ai imaginé mon bonhomme comme un sorte de prophète en train de "s'égosiller jusqu'u dernier souffle", pour faire passer une sorte de message à l'humanité ! Mon texte est parti de cela, même si je n'ai pas été au bout de l'idée…
Pour la forme, les Alexandrins sont des vers qui, avec l'habitude de leur rythme particulier, me viennent assez naturellement. J'ai ensuite choisi de ne pas les "rimer" (à part quelques rimes sur le "aire" de Baudelaire, qui sont venues se glisser au début). J'aime les rimes, mais je trouve que leur "formalisme'" idéal sur des poèmes un peu conceptuels, n'est pas tout à fait adapté à la narration d'une histoire comme ici. J'ai donc choisi, pour faire coller la forme et le fond, une sorte de prose en alexandrins !