Un vieil homme arrivant un jour au Paradis,
Avec encore à la main son bréviaire,
Fût fort surpris au lieu susdit,
De ne voir qu’étrange bestiaire.
Dans un décor de comédie,
Pas d’anges, ni de saints, ni de Dieu
Pour accueillir notre bonhomme :
Rien que des animaux odieux,
Comme on en voit au carnaval en somme.
Les animaux acrimonieux l’apostrophaient,
Moquant son air et sa personne
Sa perruque et ses effets.
Mais lassé des lazzi de cette étrange faune
Le vieil homme approcha de qui semblait le roi :
« vos sujets, puissant Sire,
N’ont-ils donc, comme ils se doit,
Nulle compassion pour mon martyre,
Pour mon statut de macchabée
Encore tout frais sorti du cercueil,
Pour mon âme quittant à peine les abbés ;
Est-ce là tout votre accueil ? »
Le Lion (car bien sûr c’en était un)
lui répondit d’un ton acerbe :
« Pour l’éternité Monsieur l’importun,
mangeurs de viande ou mangeurs d’herbe
Nous aussi pauvres bêtes innocentes
Serons cibles des quolibets, des jugements,
Des remontrances indécentes
De millions de gens, sûrement.
Vous nous avez créées pour votre gloire,
Avec nous vous souffrirez une juste peine,
Car jusqu’à la lie vous devrez boire
L’âpre vin de votre propre Fontaine.
Votre vie fut loin de la perfection
De vos leçons, de vos adages ;
Et foin de vos tardives confessions
Sachez, vous qui vous prîtes pour un sage,
De la naissance au dernier râle,
Qu’à trop écrire de morales,
On n’est jugé que sur la sienne ! »