Peindre et depeindre par Lejumeau
Mon petit coin de paradis
J’ai en mémoire...de belles images pour les jours gris,
De lieux agréables, magnifiques tableaux de campagne.
Et cependant, il n’est aucun endroit où j’ai ressenti
Une impression de douceur semblable à celle que je goutte ici,
Au bord de Seine, surtout aux premières heures d'un beau jour.
Tout est naturellement tranquille, serein, mesuré.
Dans le paysage aucun trait dur et peu de lignes nettes
Les collines à l’horizon, la ligne de faite sinueuse
Des ormes et des peupliers sur la rive baignent
Dans une brume légère qui estompe les contours.
Pas le moindre souffle de vent : l’eau profonde coule paisiblement,
Presque insensiblement, sans un clapotis, sans une ride
Et les ramures, les feuilles mêmes sont immobiles, figées,
Comme si les arbres craignant de troubler, retenaient leur respiration.
Les bruits sont rares, faibles, assourdis
Sifflet lointain d’une péniche tôt levée.
Sur le pont, bref ronronnement d’une voiture,
De temps en temps le « clop ! » léger d’un poisson qui chasse,
Juste de quoi souligner le silence.
Tiédeur de l’air... caresse du soleil en ses premiers rayons...
C’est un moment exquis de calme, de repos, d’harmonie.
Un vieux saule pleureur se penche sur la rive,
Il m’abrite de sa tête ébouriffée aux reflets d’argent,
Quelquefois aussi, un petit voilier bleu à la grande voile blanche
Vient composer tout à coup avec le vert des rives et l’azur du ciel
Un tableau si charmant qu’on voudrait pouvoir le peindre.
Très lentement, mon bouchon glisse au fil du courant.
L’onde semble immobile, l’eau est l’écho du silence,
Dans mon petit coin de Paradis