Le retour des marins
Les plus beaux des navires font parfois des escales dans des ports de misère. Ils se traînent piteux dans les eaux mortes, huileuses, de ces havres de hasard. Les matelots descendent chercher d’autres ivresses dans les bars des quartiers borgnes. Leur pas est chancelant avant d’avoir rien bu, tant leur manque la mer et ses roulis d’écume. Sous la brume des villes, leurs yeux deviennent vieux à ne plus voir le ciel.
Mais que sonne la corne du rafiot avachi à son berceau de pierre, qu’il tire sur le bout qui le garde attaché à son anneau de fer et les voici revenant une bannière au cœur.
Par-dessus le bastingage, regardez-les de tous leurs chants, sauter sur le pont. Leurs yeux redeviennent du bleu de la mer et le cri des mouettes déchire déjà l’horizon qui les appelle.
Les revoici heureux, les revoilà marins !
Et quand souffle le vent, voyez comme ils oublient, bien vite la poussière. La terre devient ronde pour chasser les frontières, ils voguent au hasard où les flots les attirent.
Ils admirent l'oiseau qui guide leur voyage et ont trop le respect de ce prince d'azur pour se moquer encore de son pas maladroit.
Et si leur voix parfois se perd dans la tempête, leur chanson à coup sur, transperce les nuées, jusqu'aux dieux antiques de la mer et du vent.
Le poète est ainsi qui embarque parfois, à l'appel des sirènes, sur des coques de voix. Il ne peut trop longtemps rester loin de ses flots et ne supporte pas de jeter l'encre à l'eau ! Alors le revoici qui trace son destin sur des voiles de papier, comme le vent balafre les ailes des bateaux.
Le revoici heureux, le revoilà poète !
Et quand l’amour s’en vient et s’arrime à sa vie, son cœur, ce pauvre muscle, fait battre l’univers au rythme de son âme et ses yeux sont des lacs où se noient les étoiles.
Il admire l’oiseau qui nage dans le ciel, accuse Dieu, les hommes et le temps qui passe, et se moque lui-même de son pas maladroit.
Et si sa voix se perd parfois dans la cohue, sa chanson à coup sur, traverse l’univers pour renaître là-bas dans les éthers lointains…
Et quand parfois le monde afflige leur destin, les marins se réveillent dans le cœur des poètes. Ils se souviennent alors des tempêtes terribles qui déchiraient les voiles et abattaient les mats et des coques brisées que des monstres marins avalaient aussitôt. Ils se souviennent encore des frères qui tombaient dans les noires eaux des abysses sans fond; des cordes, des bouées, des canots à la mer que l’on jette incertain de revenir soi même.
Les poètes revivent le hurlement des vents qui tout d’un coup s‘achève, et les nuages noirs qui se déchirent enfin, pour laisser le soleil sécher les os des hommes et des bateaux. Leurs chants désespérés redeviennent des odes, leur colère retombe comme se calme la mer, leurs yeux voient l’avenir, ils scrutent l’horizon…
Poètes-marins ! Voyez donc ces chimères, naviguer d’un seul mot sur la crête des vagues, sur le dos d’un nuage, sur les ailes des dieux. Ce sont de doux sorciers qui d’un coup de crayon dévoilent des trésors, et des coins de ciel bleu; ce sont de braves fous la tête dans les cieux.
Quand les marins reviennent dans le cœur des poètes, à la magie du Verbe plus rien n’est impossible.
Aralf
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