Rose, Lejumeau et la neige

Pinceaux de Rose, stylo de Lejumeau
Jours de décembre
Au réveil, nous avons trouvé le village habillé de neige. Pendant la nuit, les flocons n’ont cessé de tourbillonner, menus mais pressés, et à midi, fait peu fréquent au mois de décembre, une couche d’une trentaine de centimètres couvrait le sol. Après déjeuner, chaudement vêtu et botté, j’ai pris le chemin qu’on appelle ici la sente aux loups parce qu’il est bordé de friches et de taillis et truffé de terriers. Il domine la Seine et donc vue sur les plaines de Saint-pierre et de Muids dont le panorama m’a tout de suite charmé. Il est rare en Normandie que l’on puisse contempler les plaines et les forêts pesamment encapuchonnées et, à la place des prairies, des labours,
Cette garniture uniforme et nette.
Surtout les arbres presque jamais ne conservent une parure épaisse de flocons.

Or, aujourd’hui, les moindres rameaux étaient abondamment chargés. Ils dessinaient dans les taillis, les futaies, sur les rives du fleuve et des îles une splendide profusion de dentelles miroitantes qui opposaient leur légèreté, leur fragilité, leur grâce aux masques et aux traits lourds des troncs et des murs, ou bien se découpaient devant un fond d’eaux noires ou de ciel couleur de plomb. J’avais hâte d’arriver au Prieuré. Il est joli en toute saison ce vieux manoir de Bellangault, moussu et feuillu, bâti sur la rive d’un bras étroit de la Seine, protégé de grands arbres. Je l’aime au printemps dans les verdures neuves, je le préfère à l’automne parmi les ors et les roux, mais tout à l’heure, vraiment il était plus beau que jamais. Sur le fond gracieux de la solitude des brindilles givrées, à côté de la seine roulant une onde lourde, épaisse, à teinte d’encre, les murailles de ses maisons vêtues de lierre gris, ses toitures épaissies et immaculées tranchaient nettement, brutalement presque élevant une rude silhouette chenue dans le décor délicat au lieu de s’y incorporer, d’y fondre, comme d’ordinaire, leurs nuances et leurs contours.
Au pied d’un grand peuplier blanc, incliné sur l’eau sombre,
une barque allait et venait doucement, toute argentée, et son mouvement
Léger, régulier, silencieux, semblait participer au calme,
Au recueillement pourrait-on dire ,du lieu et du moment.

Je me suis engagé au-delà, dans le sentier qui mène à la propriété de Charles Vanel, étroit et sinueux, resserré entre deux treillages, il court tantôt au flanc, tantôt au bas d’une pente raide, au milieu d’un taillis qui dégringole vers la Seine. C’était plus qu’ailleurs encore, le domaine du givre. Des arbustes courbés, couchés presque sous leur fardeau, barraient çà et là le passage, ou bien y formaient des tonnelles, des berceaux, des voûtes. Les flocons agglomérés, garnissant les mailles du grillage, l’avaient transformé par endroits en une clôture opaque et, quand on secouait un peu cette palissade légère, une chute de poussière blanche ouvrait brusquement des regards, des fenêtres sur le bas de la côte et sur le fleuve. Par une de ces lucarnes m’apparut, à un détour, tout chargé, tout frileux,
Mais paré lui aussi, d’une beauté nouvelle,
Le village de Saint-Pierre du Vauvray.
Devant les piles du Pont des Andelys, le chemin s’élargit, mais demeure bordé d’arbres aux essences diverses. Chacun porte la neige à sa manière. Les frênes et les noyers font pointer sans faiblir leurs petits rameaux, comme s’ils ne sentaient pas la charge. Les saules, les hêtres surtout moins allègres, laissent plier leurs branches où des feuilles attardées, surprises, montrent un peu de mousse dorée sous l’argent. Accablés et superbes, les sapins inclinent jusqu’à terre leurs ramures, dont les extrémités paraissent recourber des mains gantées de blanc.
Mon dernier but était le Pont de Saint-Pierre. Là non plus je n’ai pas été déçu. Deux rangées de moines en capuche, qui étaient des arbrisseaux de la digue, ont fait la haie sur mon passage. L’un d’eux comme je le frôlais m’a donné sa bénédiction.
Et je me suis attardé sur la rive,
Les arbres, la colline et le pont composaient un tableau que je ne me lassais pas d’admirer.

Simone, c'est Rose qu'il faut remercier, elle rend la neige un peu éternelle.
Magique le pinceau !
Meilleurs voeux à tous
Merci à toi, Simone de faire vivre les mots